Alan Gordon nous explique comment enseigner à notre cerveau que les émotions ne sont pas dangereuses. En effet nous avons pu assimiler certaines émotions, notamment la tristesse et la colère, à des menaces. Cela peut générer beaucoup d’anxiété en nous lorsqu’une de ces émotions pointe le bout de son nez, et mettre notre système nerveux en alerte. Pour nous protéger, il utilise alors des mécanismes de défense : répression, déni, dissociation, projection… et génération de plus de douleurs…
On peut progressivement changer ce fonctionnement par des « expériences correctives ».
L’idée est de ressentir encore et encore ces émotions dans une situation calme, « safe », en conscience, en observateur, sans anxiété. Pour cela, Alan Gordon nous invite à utiliser le Somatic Tracking présenté dans l’étape 9 et l’étape 10.
Les audios de cette étape me semblent particulièrement importants, ils montrent comment s’y prendre concrètement. Et ils m’ont touchée… J’ai pleuré avec Ginger, et ressenti la colère et l’anxiété de John. Je ne connaissais pas le syndrome de l’Incroyable Hulk, une image tellement parlante de l’anxiété que peut provoquer notre colère. Enfin je retiens qu’au départ il faut ressentir les émotions dans son corps, pas les penser ni les analyser.
Vous pouvez retrouvez l‘intégralité du programme écrit par Alan Gordon ici, et là la version originale de l’étape 16.
Comparer avec l’approche de Nicole Sachs
J’avais déjà parlé des émotions il y a un an dans des articles dédiés au JournalSpeak de Nicole Sachs. Je vous invite notamment à relire ce que j’avais écrit dans les articles 2 et 3, vous pourriez y trouver des infos intéressantes.
Je trouve l’approche d’Alan Gordon à la fois différente par la méthode (le ressenti physique plutôt que l’écriture), mais très proche sur le fond : il est fondamental de ne pas refouler ses émotions, il faut les accueillir, les libérer. C’était même le fondement de l’approche de John Sarno : libérer la rage au fond de nous.
Quelle approche vous parle le plus ? A discuter dans un salon Couleurs Chroniques si vous voulez !
Note sur le danger des émotions
Ressentir ses émotions seul, par le JournalSpeak ou le Somatic Tracking est bien sûr le plus souvent sans danger. Cela peut même être libérateur, comme nous le voyons ici ou comme Nicole Sachs l’explique avec son image du ballon sous l’eau.
Mais parfois pour certaines émotions, liées en particulier à un évènement traumatisant, il peut être préférable de les « libérer » avec un thérapeute. A vous de juger… Je ne suis pas thérapeute, je ne pourrais pas en dire plus.
Exprimer ses émotions ?
Enfin ressentir en soi, seul, dans une situation calme et sans danger, n’est pas la même chose que d’exprimer ses émotions à d’autres, en particulier la colère. Il y a là un danger d’agresser inutilement sous le coup de la rage, et de regretter ensuite ses paroles ou ses actes.
Il est souvent préférable d’attendre d’avoir retrouvé son calme et pris du recul, pour réfléchir aux besoins derrière cette colère – ou une autre émotion forte. Et éviter d’accuser ou de se plaindre sans autre but que de « décharger » son émotion sur l’autre.
Selon la Communication Non Violente (voir l’article sur Thomas D’Ansembourg), mieux vaut plutôt expliquer ce qu’on ressent et surtout nos besoins. Ensuite prendre le temps d’écouter la version de l’autre et ses besoins, puis chercher ensemble un compromis satisfaisant. Tout cela demande du tact, de l’empathie, et de la douceur. Pas simple du tout… Mais au fond c’est à ça que peuvent servir nos émotions : mieux nous comprendre, nous aider à poser des limites et aller vers la satisfaction de nos besoins.
Etape 16 : la répression des émotions
(Traduction intégrale du texte d’Alan Gordon)
Lors de l’étape 2 du programme, nous avons discuté du fait que notre cerveau ne peut pas faire parfaitement la distinction entre une menace physique et une menace psychologique. L’un des objectifs pour aller mieux est d’enseigner à notre cerveau que les facteurs de stress psychologiques qu’il a appris à craindre ne sont pas dangereux en réalité.
Il y a beaucoup de choses que notre cerveau peut interpréter comme dangereuses psychologiquement, mais aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur les émotions.
Les émotions ne sont pas dangereuses
En fait les émotions ne sont pas intrinsèquement dangereuses. Mais si vous avez grandi dans un environnement où il n’était pas normal de ressentir – et surtout d’exprimer- certaines émotions, vous avez peut-être intégré que ces émotions présentent une menace. Cela a conduit à ce que plus tard dans la vie, si une de ces émotions menaçantes survient, vos signaux de danger s’activent et vous pouvez ressentir de la douleur.
Une façon de briser ce fonctionnement est d’enseigner à votre cerveau que les émotions qu’il croit dangereuses… sont en fait sans danger.
Un cerveau toujours en train d'apprendre
Il y a quelques années, un de mes amis a eu un chien de sauvetage nommé Rocky. Ayant été maltraité les premières années de sa vie, Rocky était une boule de nerfs. Chaque fois qu’on frappait à la porte, Rocky se recroquevillait derrière le canapé. Il avait appris que les gens = danger. Mais chaque fois que des visiteurs venaient, ils le traitaient merveilleusement. Et jour après jour, il en est venu à développer une nouvelle association : personnes = pas de danger / safe.
Peu importe ce que nous avons appris en grandissant, notre cerveau peut développer une nouvelle manière de voir les choses, avec suffisamment d‘expériences correctives. La façon d’enseigner à notre cerveau que les émotions qu’il perçoit comme menaçantes sont en fait sans danger est de simplement les ressentir, encore et encore, en se sentant en sécurité.
Répression
Cette courte vidéo est un nouvel extrait du film Pixar « Vice-Versa » sur la répression d’une émotion : la tristesse. « Peur » angoisse à l’idée que d’autres enfants voient l’héroïne pleurer, alors il faut à tout prix empêcher « Tristesse » de s’exprimer. Et c’est « Joie » qui s’en charge. C’est vrai que ce n’est pas toujours « bien vu » d’être triste, alors on se cache derrière un sourire… mais le film montre ensuite à quel point il est essentiel de laisser sa tristesse s’exprimer.
Afin de vivre nos émotions en nous sentant en sécurité, nous devons d’abord les ressentir. Mais il y a une barrière : lorsque des émotions menaçantes surviennent, notre cerveau génère des mécanismes de défense protecteurs,
Un peu comme des boucliers psychologiques.
Pour illustrer le fonctionnement de ces mécanismes de défense, imaginez que vous avez un rendez-vous pour diner avec un(e) inconnu(e) (blind date). Vous avez accepté de vous rencontrer à 19 heures dans un restaurant de l’autre côté de la ville. 19 heures arrive… et le temps passe, personne.
« Elle est probablement coincée dans la circulation », pensez-vous.
Puis arrive 19h30 et vous passez le temps nerveusement avec votre téléphone.
« Peut-être qu’elle a dû travailler tard », raisonnez-vous.
Il est maintenant 20 heures et les serveurs commencent à parier sur la durée que vous allez encore attendre.
Enfin, vous recevez un texto d’elle : « Oh mon dieu /Omg, je suis vraiment désolée, j’ai totalement perdu la notion du temps… On reprogramme ? »
Vous vous dites : « Elle est très occupée, ça peut arriver à n’importe qui. »
C’est le mécanisme de défense par la rationalisation
Votre esprit cherche un moyen de justifier son comportement. Vous ne ressentez même jamais la colère qui bouillonne probablement sous la surface.
Notre cerveau possède de nombreux mécanismes de défense : déni, dissociation, projection, etc. Et ces mécanismes de défense sont inconscients, ce qui signifie que nous ne sommes même pas conscients que nous les utilisons. Cela peut poser un défi, car il est difficile de surmonter ce que nous ne pouvons pas voir.
L’un des avantages de travailler avec un thérapeute est qu’il est capable de mettre en évidence des mécanismes de défense dont nous n’aurions peut-être pas conscience autrement. Cela peut nous aider à augmenter notre capacité à accéder à certaines émotions.
Aller sous la surface
Vous pensez peut-être : « Si mes mécanismes de défense me protègent des émotions refoulées et que je ne peux pas voir mes mécanismes de défense, comment suis-je censé ressentir ces émotions ? »
Eh bien, il y a une faille.
Les mécanismes de défense ne nous protègent pas directement des émotions, ils nous protègent de l’anxiété qui surgit en réponse à ces émotions. Donc, pour nous aider à atteindre ces émotions, nous avons juste besoin de réguler notre anxiété.
Et quelle est la meilleure façon de réguler l’anxiété?
Le Somatic Tracking !
Vous voyez comment tout cela s’assemble ?
Quand il y a une émotion que notre cerveau pense être dangereuse, cela augmente notre anxiété. En portant notre attention sur cette anxiété, cela nous aide à atteindre l’émotion sous la surface.
Aller régulièrement à la rencontre des sensations physiques de vos émotions en se rassurant qu’elles sont sans danger, cela peut avoir un effet cumulatif à la longue. Et comme c’est arrivé pour Rocky, le chien de sauvetage, votre cerveau peut apprendre : ce qui paraissait autrefois dangereux deviendra sûr (safe).
Ressentir ses émotions
Les psychologues ont identifié six émotions universelles : la joie, la tristesse, la colère, la peur, le dégoût et la surprise. Il est important de ressentir nos émotions, même les plus désagréables. Comme l’a dit Winnie l’ourson, « les mauvaises herbes sont aussi des fleurs, une fois que vous avez appris à les connaitre. »
Il y a deux émotions en particulier que les gens ont tendance à réprimer : la tristesse et la colère.
La Tristesse
Dans l’audio suivant, Ginger réprime sa tristesse. Quelque part au cours de sa vie, elle avait reçu le message que la tristesse n’était pas acceptable. On peut entendre l’émotion dans sa voix, mais des mécanismes de défense continuent de surgir :
Transcription de l’audio – très émouvant, même si vous ne comprenez pas tout en anglais, je vous invite à l’écouter. Ressentez vous de la tristesse à votre tour en l’écoutant ?
Alan Gordon a expliqué qu’il faut ressentir les émotions et non les penser (« feel instead of think »). Ginger dit qu’elle sent déjà qu’elle commence à s’ouvrir et à ressentir toutes sortes d’émotions. Et c’est la première fois qu’elle ressent ça, qu’elle a tendance à trop penser, à toujours rationnaliser (overthinking… je ne crois pas qu’il y ait une traduction en français pour ce mot ?) C’est un de ses plus gros problèmes…. Elle réalise que pendant 10 ans, elle essayait de surmonter une épreuve mais qu’elle passait complètement à côté du point essentiel, tout était si lourd.
Alan Gordon (A) lui demande ce qu’elle ressent en ce moment. Et ensuite lui dit qu’il entend de la tristesse dans sa voix. En a t’elle conscience ?
Ginger (G) confirme qu’elle se sent très triste. Et essaie immédiatement d’expliquer pourquoi, toujours dans le rationnel.
A : « Non. Non.
Pas de « parce que », concentrez-vous simplement sur l’émotion de tristesse.
Nous ne voulons pas entrer dans l’analyse. Vous vous sentez triste en ce moment. Et je veux que vous alliez à la rencontre de cette tristesse, que vous exploriez à quoi elle ressemble pour vous. Qu’est-ce que vous ressentez dans votre corps? Qu’arrive-t-il dans votre corps lorsque vous vous sentez triste ? Comment cela se manifeste-il ?
Vous voyez, vous n’avez pas besoin de dire quoi que ce soit. Vous n’avez rien à faire de spécial. Vous n’avez pas besoin de diriger ou contrôler. Vous n’avez pas besoin de lui mettre une étiquette ou de la faire partir. Laissez l’émotion venir et partir naturellement. Tout ce que vous avez à faire, c’est juste d’être un observateur. Vous la suivez, vous vous donnez cet espace dont vous parliez, cette ouverture pour la ressentir.
Et que remarquez-vous si vous vous laissez simplement ressentir cette émotion dans votre corps ? Que se passe-t’il ?
G : Je pleure… (on l’entend sangloter pendant pratiquement tout le reste de l’audio).
A : Bien.
Laissez-vous juste ressentir cette tristesse, d’accord ?
Je pense que ça fait longtemps que vous essayiez de résoudre, comprendre rationnellement vos émotions. Et en ce moment, ce que vous faites, c’est juste vous autorisez à les ressentir. Laissez-vous simplement ressentir.
Et j’aimerais que vous preniez simplement conscience de ce qui se passe dans votre corps en même temps que ressentez l’émotion. Voyez si vous pouvez vous familiariser avec la sensation de douceur dans vos yeux, et peut-être une sensation de lourdeur dans votre ventre ou votre poitrine.
En ce moment, nous enseignons à votre cerveau, à votre enfant intérieur qu’il est normal que vous ressentiez cela, et que vous pouvez ressentir cette émotion en toute sécurité maintenant.
Je pense que pendant longtemps, vous avez eu l’impression que c’était peut-être dangereux et votre esprit a développé beaucoup de mécanismes de défense. Mais vous savez, en ce moment même, enfin, votre cerveau sent qu’il n’y a pas de danger. Et c’est ce que vous voulez lui enseigner, que c’est OK. Vous comprenez ?
G : Oui.
A : Je parie que vous sentez soulagée de vous permettre de ressentir cette tristesse, n’est-ce pas ? C’est quelque chose que vous reteniez depuis longtemps.
G : Oui. Je dois arrêter de penser – pas rationaliser, pas chercher à expliquer, juste ressentir.
En prêtant attention aux sensations physiques de son corps, Ginger a été capable d’accéder à cette émotion, et plus impressionnant encore, elle a pu rester avec elle. Cette expérience corrective a communiqué à son cerveau : la tristesse n’est pas dangereuse.
La Colère
Dans l’audio suivant, John réprime la colère. Il a tendance à se traiter durement, et alors qu’il parle de son « harceleur intérieur », la colère commence à bouillonner sous la surface… et son anxiété monte en flèche :
Alan Gordon (A): Vous avez cette croyance que votre bien-être a en fait moins d’importance que ce que les autres personnes pensent de vous. Avez-vous des émotions à ce sujet ? Ou y êtes-vous indifférent ?
John (J), hésitant : Honnêtement… ça me rend fou; ça m’énerve.
A : Parlez-moi de cette colère, c’est nouveau. Je ne vous ai jamais entendu dire ça. Contre quoi est-elle ?
J : C’est que je n’ai jamais pris soin de moi.
Je hais mon fonctionnement d’essayer d’être parfait.
Toute ma vie, j’ai essayé de tout faire bien : les entrainements de sport, mon alimentation, les bonnes études, faire du bénévolat, le bon travail… et même la bonne petite-amie. Mais c’est juste sans fin, la pression sur moi-même est tellement forte ! Et ça m’énerve que je sois ici et que j’aie cette opportunité de vous parler mais je suis tellement inquiet à ce sujet que je ne peux même pas me lâcher. Vous voyez, ça m’énerve que je puisse avoir de la colère refoulée.
A : Quelle est cette partie de votre esprit qui vous dit que vos émotions n’ont pas d’importance, qu’elles devraient passer au second plan ? D’où vient-elle ? Qui est-ce qu’elle imite ?
J : Ma mère.
A : Et votre mère vous a appris que vous sentir bien est moins important que de ne pas la perturber, la déranger ou, vous voyez, qu’elle ne se sente pas dépassée.
Mais en ce moment, que se passe-t-il en vous ? Est-ce qu’il y a cette partie de votre esprit qui prend la forme de votre mère et qui vous dit : John, te sentir bien maintenant n’est pas important. Ce qui est important, c’est que tu aies l’air intelligent et que tu prennes le temps juste pour dire les choses, et que tu t’en sortes bien.
Que pensez-vous de cette partie de votre esprit qui imite votre mère vous disant que vos émotions n’ont pas d’importance ? Est-ce que ça vous laisse indifférent ?
J : Non, je hais ça !
A : Parlez-moi de la colère que vous ressentez. On dirait qu’il y a beaucoup de colère à ce sujet.
J : Eh bien, mon cœur est sur le point d’exploser dans ma poitrine en ce moment et l’anxiété / les angoisses sont montées à environ neuf, vous voyez…
A : Ce sont les sensations physiques de l’anxiété.
Il y a de la colère sous l’anxiété.
Voyez si vous pouvez vous autoriser à ressentir cette colère. Cette colère est légitime. Il y a cette partie de votre esprit qui vous dit que vous n’avez pas d’importance et que plaire aux autres est plus important. Vous avez beaucoup de rage contre cette voix. Donnez-vous la permission de ressentir cette rage !
J : (il libére sa colère, crie… il en pleure presque je crois ?) : STOP !!!
Je déteste ça. Stop ! Arrête, je veux vivre une vie normale.
A : Bien… Voyez si vous pouvez vous permettre de ressentir cette émotion dans votre corps ?
J : J’ai peur de perdre le contrôle, de devenir fou, et d’être en colère tout le temps.
A : (très calme) Oui, je vois bien cette peur…
C’est le syndrome de l’Incroyable Hulk.
L’idée que si on se permet d’entrer en contact avec la rage, on pourrait se laisser submerger, perdre tout contrôle et, vous voyez, hurler ou frapper les gens.
J : Mais… mon anxiété vient de disparaître.
A : Vous avez saisi, n’est ce pas ? Ce que vous avez fait, c’est que pendant un bref instant, vous vous êtes permis d’entrer en contact avec l’émotion sous-jacente et vous avez traversé ce mur d’anxiété.
Malgré son anxiété, John a été à la rencontre de sa colère et l’a profondément ressentie. Et quand il l’a fait, son anxiété a complètement disparu. Cette expérience corrective a communiqué à son cerveau : la colère n’est pas dangereuse.
Rome ne s’est pas construite en un jour. Une seule expérience ne va pas vous faire passer de « les émotions sont dangereuses » à d’un coup « les émotions sont safe / sans danger. » Mais c’est un début. Et avec l’exposition et la répétition, vous pouvez changer votre cerveau.